dimanche 20 janvier 2013

en vrac

En mer. Nuit du 25 au 26 décembre 2012.

La journée du 25 est pénible, le vent est fort et la houle semble vouloir nous engloutir. Elle est si grosse qu'elle fait rouler TaraTari entre deux surfs. Le petit pilote n'aime pas ça et décroche régulièrement. Impossible d'être deux sur le pont, nous avons organisé les quarts, un dedans un dehors. Et dehors, il faut rester près de la barre pour éviter les problèmes de trajectoire et de tenue du bateau dans cette houle mauvaise. Les vagues sont de plus en plus grandes. Le cockpit immergé prend des airs de baignoire dans ce grand bain océanique.

L'immersion océanique, c'est quand je ne vois plus mes pieds.

La nuit tombe mais pas le vent. La nuit nous plonge dans une obscurité opaque et s'apprête à nous plonger tout court. Il est 22h et je me repose dans la descente, en ciré et harnachée. Maxime est dehors, près de la barre, quand soudain le pilote TP 32 décroche. Max n'a pas le temps de réagir que voilà TaraTari parti au lof dans un élan non maîtrisé. C'est le vrac. TaraTari est sur le flanc.



Tout est allé très vite. A l'intérieur, je ne comprends rien; les yeux fermés, calée au vent, je suis arrachée à mon assise. Un gros sac de conserves matossé vient de tomber violemment sous le vent, entraînant la longe qui me retient au bateau. Le choc est brutal. Dans sa chute, le sac a emporté la longe et mon harnais m'a brutalement saisi le bassin. Sans rien pouvoir faire je me cogne, me tord cheville et genou droits. Tout ce qui pouvait tomber sous le vent tombe. Malgré la douleur de mon dos et de mes articulations, je dégage le sac agresseur d'un geste vif, libère la longe et sors dans le cockpit. Tara Tari est sur la tranche, le mât dans l'eau, la grand voile dans l'eau. Je bondis au vent de mon pauvre petit bateau couché, accroupie en contre poids, sur la lèvre extérieure du pont, au niveau des filières, pour l'aider un peu: "Allez, TaraTari, redresse-toi! Tiens bon, mon vieux!" Ça me crève le coeur de le voir ainsi flanqué à terre, à mer.

Dehors, Maxime n'a pas compris grand chose à ce qui vient de se passer. Surpris par cette grosse vague, il n'a pas vu partir le bateau. Les mains accrochées au vent, il pousse désormais la barre avec son pied jusqu'à la butée, attendant/espérant que Tara Tari se redresse. Déboussolé par ce vrac, Max a un instant de confusion, trouve que le bateau tarde vraiment à se redresser : "que c'est long.." se dit-il alors en regardant, impuissant, s'éloigner un petit bidon de matériel d'accastillage que la vague a arraché. Ne sachant plus quoi faire, Maxime subit vraiment ces quelques secondes, vautrés à un ou deux milles d'un cargo en panne et non manoeuvrant, tous feux allumés. La première chose à faire est de respirer.

Nous sommes tous les deux dehors et TaraTari se redresse enfin. Le bateau est debout, mais nous sommes au près dans ces vagues, géantes vues d'ici. Une seconde encore et Maxime reprend peu à peu ses esprits, abat pour remettre le bateau sur sa trajectoire en vent arrière.

Le bateau redressé, j'inspecte le gréément, le pont, cherchant l'avarie à la lumière de ma lampe frontale. Pas facile dans cette nuit opaque, mais tout semble en place, mes béquilles barres de flèche n'ont pas bougé et rien ne semble cassé. Dès les premières lueurs du jour, je ferai une inspection plus précise.

Le gilet de sauvetage s'est gonflé pendant le choc, et la flash-light intégrée clignote toute la nuit, éclairant par intermittence la menace d'une récidive. Tout est rentré dans l'ordre mais la nuit est stressante dans la pénombre. Nous sommes à 100 milles nautiques dans le sud de l'île Gran Canaria et il nous est impossible de remonter au près dans cette mer. Le prochain abri est à 800 milles nautiques, au Cap Vert.

Capucine

4 commentaires:

  1. J'ai vecu ça avec une aussi petit bateau, et je sais comment cela récent... Vous avez beaucoup de courage et mon admiration. Bon vent, bon voyage et.. bonne chance!

    Jean Heylbroeck

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  2. Courage a tout les deux! La mer à toujours des surprises et encore XIX siècle la traversée de l'Atlantique est une aventure
    Courage et santé!

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  3. Je lis ton blog très souvent. Tout ceci me passionne. Je te trouve si courageuse et heureuse de vivre et aimante, c’est super ! J’aimerai pouvoir lire ta belle aventure un jour dans un livre illustré. Ce livre que je partagerai avec ma famille et mes amis et plus tard quand j’en aurai, avec mes petits-enfants. Je leurs parlerai de toi comme un exemple de courage et de pugnacité. Bravo ! Nous nous sommes rencontrées à Kerpape, quel beau témoignage ! Bravo !

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