dimanche 28 avril 2013

pêche hétéroclite


Mindelo. Sao Vincente. Cap Vert, janvier 2013.

A Mindelo, on m'a parlé de quelque chose qui m'intrigue et je me dirige alors vers le port de commerce. Normalement il faut des autorisations pour pénétrer dans la zone mais le gardien ouvre la porte sans trop poser de questions. Au fond du port, derrière les cargos rouillés, un bateau de pêche, des conteneurs et une grue. Je m'approche. Ce sont des pêcheurs de requins.


Des gars me demandent qui je suis et ce que je fais là. Ces pêcheurs sont Espagnols, alors on arrive à  communiquer facilement. Petite discussion avec le patron qui m'autorise à rester et qui est ok pour répondre à mes questions. Parce qu'en voyant tous ces requins, en grappes, soulevés par la grue, je me pose en effet quelques questions.


Les requins sont intensivement pêchés, le plus souvent uniquement pour leurs ailerons qui constituent l'ingrédient principal de mets, notamment la soupe d'ailerons de requin, appréciés en Asie du Sud-Est. Le patron de pêche m'explique que les ailerons iront à Singapour pour la 'soupe', et les "troncs" des requins seront, eux, vendus en Allemagne. Des centaines et des centaines de requins congelés sortent des cales du bateau de pêche, il y a aussi des thons, des espadons.. 5 espèces au total, me dit-il. "Les ailerons se vendent bien. Surtout pour les soupes, en Asie" répète-t-il.



La plupart des études estiment que le nombre de requins tués pour leurs ailerons serait de 38 à 100 millions chaque année dans le monde entier. (Lire l'article de National Geographic de 2006).

Mais l'intensification de cette pêche, l'augmentation de la demande d'ailerons et l’absence de données internationales fiables laissent à penser que ce nombre est fortement sous-évalué aujourd'hui. L'Union européenne évaluait les pêches de requin à 800 000 tonnes par an en 2008. Selon l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, 890 000 tonnes de requins étaient pêchées en 2000, contre 770 000 tonnes en 2005 et 740 000 tonnes en 2008. En 2008, l'Indonésie était le premier pays pêcheur de requins au monde avec 110 000 tonnes, suivi par l'Inde (80 000 tonnes), l'Espagne (56 000 tonnes), l'Argentine (46 000 tonnes), Taïwan (41 000 tonnes), les Etats-Unis (37 000 tonnes), le Mexique (29 000 tonnes) et la Malaisie (23 000 tonnes).

Sous mes yeux, les requins sortis du bateau de pêche sont aussitôt chargés dans les conteneurs. Je suis assez étonnée, car l'hygiène laisse à désirer. Ok le gars a des gants, mais un petit chien gourmand se lèche les babines devant ces glaces goût requin, qui touchent le bitume. Je prends quelques photos et sur le pont les pêcheurs observent.



13 hommes, 80 jours en mer pour pêcher quelques tonnes, essentiellement de requins. Leur zone de pêche, m'explique-t-il, s'étend du Golfe de Guinée au Brésil. Les eaux du Cap Vert grouillent de requins, et je lui demande, puisqu'ils sont Espagnols, pourquoi c'est ici à Mindelo qu'ils chargent les conteneurs. "Remonter à Vigo ferait 'perdre' 2 semaines de mer. C'est plus pratique de charger ici" dit-il. Ailleurs j'entendrai qu'on est un peu moins regardant ici loin de tout, sur les quotas et tout ça, que dans d'autres pays. Mais je me méfie de ce que l'on raconte. Je sais que la pêche aux requins est beaucoup trop importante et que de plus en plus d'Institutions se mobilisent pour la préservation de ces espèces.
Je n'ai pas menée d'enquête sur ce bateau-là, je ne saurais affirmer si cela est légal ou non, mais je sais que le problème existe, et qu'il se passe des choses loin de nos yeux, des choses mauvaises pour la planète.


Les requins sont par exemple au coeur du programme 2013 de l'Institut Océanographique de Monaco. Le grand problème, c'est qu'avec des films tels que les Dents de la Mer, l'Homme se trompe sur le requin, ne l'aime pas et se trompe à son sujet. Ok, ce n'est pas la plus mignonne des petites bêtes, mais nos mers, nos océans ont besoin d'eux. C'est indéniable. Et puis pour avoir navigué au milieu des requins à l'approche du Cap Vert, je peux assurer que les requins sont beaux, vifs et ne méritent pas un tel jugement. Comme pour de nombreuses espèces, il faut apprendre à vivre ensemble, à les respecter et à cohabiter.


requins, thons, espadons... congelés.

Deux conteneurs chargés... et je pars retrouver mon petit TaraTari. Je suis un peu bouleversée par ce que je viens de voir. Et dire qu'hier j'étais avec les pêcheurs qui avancent avec des voiles en sacs de riz...  Hétéroclite, la pêche au Cap Vert. 

J'ai un respect immense pour les pêcheurs, car ils exercent à mes yeux le métier le plus dur au monde. Mais j'en veux à ceux qui commandent toutes ces tonnes de poissons, de requins, de baleines et tout... Il faut savoir rester dans la juste mesure, préserver l'équilibre. Enfin, j'aurais le discours classique de ceux qui aiment la Nature, et veulent préserver les Océans. Alors j'en profite pour me faire relais de "l'Appel de Paris pour la Haute Mer, belle initiative de Catherine Chabaud et Romain Troublé (de Tara Expéditions) à découvrir et soutenir sur http://www.lahautemer.org


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 PARIS APPEAL for the HIGH SEAS
"We are currently mobilizing a maximum number of people all over the world to pressure
our governments, economic partners and networks into obtaining an ambitious
agreement at the United Nations General Assembly in 2014."


The High Seas lie over the horizon, beyond the reach of States. While these international waters cover half of our planet, they are less familiar to us than the surface of the moon. Yet we could not survive without them. They feed us, provide half of our oxygen, regulate our climate, capture most of our greenhouse gas emissions, and enable almost all trade in goods. They inspire poets and nourish children’s dreams. If such a treasure were to belong to a single nation, it would be its most cherished possession.But the High Seas belong to none; they must be managed in the interest of the public good, as a shared “common heritage for all humanity”.
http://www.lahautemer.org/en/

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Je préfère parler des jolis voiliers de pêche en bois, mais il ne faut pas rester dans l'utopie, partout dans le monde la surpêche, la surconsommation s'installe. Il faut en parler et agir.
A bientôt,
Capucine

1 commentaire:

  1. "Je préfère parler des jolis voiliers de pêche en bois, mais il ne faut pas rester dans l'utopie, partout dans le monde la surpêche, la surconsommation s'installe. Il faut en parler et agir."
    On dirait que tu t'excuses presque d'avoir une conscience. Non ! C'est bien que tu te sentes concerné, bien au contraire. Car si nous qui voyageons et voyons de nos yeux les choses, nous ne nous indignons pas, qui le fera ?

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